Appréhendons d'abord l'Église comme une réalité historique. Cette institution, vielle de 2000 ans, est parvenue jusqu'à nous à travers de nombreuses vicissitudes où le meilleur a coexisté avec le moins bon. Retenons d'abord le meilleur, ce n'est que justice, car nous risquons de l'oublier. Mais nous reviendrons sur le moins bon aussitôt après. Il nous faut aussi prendre conscience que les Français d'aujourd'hui sont souvent habités par une sourde agressivité à l'égard de l'Église catholique, tout simplement parce que celle-ci a été prépondérante en France pendant des siècles, qu'elle a exercé une forte influence sur le pouvoir politique et qu'elle a donné prise à l'accusation de cléricalisme.
L'Église chrétienne a pris le relais des institutions religieuses anciennes du bassin méditerranéen et a constitué une matrice évidente pour toute l'Europe et ensuite pour l'Occident américain. Nos matrices ne se trouvent pas seulement dans l'Athènes et la Rome païennes, mais aussi à Jérusalem et dans la Rome chrétienne. Notre héritage est largement celui des valeurs chrétiennes qui ont fait faire un bond en avant évident à l'humanité, avec la lente élaboration du respect de la personne humaine et du droit des gens, pour ne retenir qu'un point majeur. Mais c'est aussi toute la littérature, la philosophie, les idées politiques et l'art, dans ses formes innombrables, qui se trouvent marqués jusqu'à nos jours de l'influence chrétienne, même si le christianisme est loin désormais de se confondre avec nos sociétés. N'oublions pas que ce sont les copistes chrétiens du haut Moyen âge qui ont sauvé du gouffre de la disparition totales les oeuvres païennes de l'Antiquité du Moyen Âge, origine de notre théâtre, jusqu'aux tragédies classiques et aux romans modernes. Nous vivons encore sur nombre de symboles qui à l'origine sont des symboles chrétiens.
On a pu même dire que la tradition chrétienne a favorisé la recherche scientifique. L'idée d'une création faite pour l'homme et mise à sa disposition a démythologisé le monde et a encouragé les hommes à soumettre ce dernier à leur volonté en en découvrant progressivement les lois. Qu'ils l'aient fait pour le meilleur ou pour le pire est une autre question. À de multiples titres, nous vivons sur un héritage exceptionnel. L'activité civilisatrice de l'Église s'impose.
Au cours de son histoire, l'Église est passée par des situations extrêmement différentes. Pendant trois siècles, elle a vécu sous la menace constante de la persécution païenne. Sans doute celle-ci ne s'exerçait-elle pas de manière violente toujours et partout. Dans l'Empire romain, les crise furent, le plus souvent, locales : c'était une ville ou une région précise qui était visée. Elles furent aussi de courte durée. Cependant, la mentalité des chrétiens était habitée par la possibilité toujours présente du martyre. Aussi est-il légitime de parler de l'Église des martyrs.
La situation change du tout au tout avec la conversion de Constantin (313). En quelques années, l'Église passe du statut de communautés menacées et parfois clandestines à celui de représentant de la religion officielle de l'Empire. Elle collabore avec celui-ci et utilise largement les avantages que ce nouveau statut lui confère. Elle devient une société de droit public. Mais, plus elle s'étend, plus la ferveur de certains de ses membres se réduit. Aussi la recherche de la perfection chrétienne, auparavant réalisée par le martyre, engendre-t-elle de nouvelles formes de vie " parfaite " : ermites dans les déserts de Syrie et d'Égypte, puis communautés monastiques, au désert d'abord, puis en ville.
De leur côté, les évêques exercent une suppléance quand les fonctionnaires de l'État sont déficients. Ils interviennent dans les questions sociales et économiques à une époque de récession où le fisc impérial ruinait littéralement les paysans et artisans. De grandes initiatives qui sont devenues aujourd'hui des instituions élémentaires d'un État moderne viennent de l'Église, comme la naissance des activités hospitalières. En cas de famine, la prédication chrétienne fait un devoir aux riches de partager avec les pauvres, mais l'exhortation s'accompagne d'actions concrètes. Un Basile de Césarée prévoit même la famine toujours possible : au milieu du IVe siècle, il stocke des grains dans les moments de bonne récolte et les revend au prix normal dans les temps de disette. Il organise alors une soupe populaire faite de la mixture de céréales qui était l'alimentation de base du peuple. Il fonde un hôpital de grande dimension, une véritable cité hospitalière, appelée la " basiliade " dans une banlieue de Césarée de Cappadoce. La chose marche si bien qu'elle déplace le centre économique de la cité. À sa mort, juifs et païens suivent ses funérailles en reconnaissant que, dans ses générosités, il avait pensé à tous et pas seulement aux chrétiens.
Après la chute définitive de l'Empire romain, l'Église passe aux barbares. Dans des périodes obscures et difficiles, où l'administration impériale s'évanouit, la structure épiscopale tient le coup et intervient toujours au plan économique et social. Mais cette pente est dangereuse, parce que les évêques vont prendre un poids politique important dans l structuration progressive de la société médiévale. L'Église se confondra alors pratiquement avec la société dite de chrétienté. C'est l'Église qui anime les école et fonde les premières universités (à Bologne et à Paris) autours desquelles se rassembles les communautés de maîtres et d'étudiants des diverses discipline. Elle voit, comme à chaque époque d'ailleurs, la naissance de nouveaux ordres et congrégations religieuses, masculine et féminines, qui témoignent d'une profonde vitalité chrétienne. La chrétienté médiévale se diffuse avec le XVIe siècle et la Réforme protestante. Le christianisme européen est le lieu d'un conflit entre catholiques d'une part, luthériens et réformés calvinistes d'autre part. Nous reviendrons sur toutes les conséquences négatives dont cette crise est porteuse. Cependant, elle a aussi engendré une certaine émulation réformatrice. On parle aujourd'hui non plus de Contre-Réforme catholique, mais d'une véritable réforme catholique, analogue par bien des points à la Réforme protestante. Le XVIIe fut appelé le siècle des saints, en particulier en France où les mouvements spirituels sont nombreux et féconds.
Le XVIe siècle avait aussi été le siècle de la découverte de terres nouvelles en Amériques et d'une exploration plus précise de l'Orient asiatique. Pour l'Église catholique, ce fut l'occasion d'une élan missionnaire extraordinaire, dont les voyages de François Xavier aux Indes, au Japon et jusqu'aux portes de la Chine, furent le modèle enthousiasmant. Le XVIIe siècle continua sur cette lancée avec les grandes missions dans les nouvelles Indes américaines du Canada jusqu'au sud du continent. Aux XVIe et XVIIe siècles ce furent les missionnaires qui luttèrent contre les exactions des colons espagnols ou portugais et se firent largement les protecteurs des autochtones. De grands théologiens dominicains comme Las Casas (1474-1566) protestèrent de toute leur force contre les injustices et les atrocités. Avec Vitoria (1483-1546), ils élargirent la réflexion chrétienne sur la morale politique à la question de la légitimité ou non de la conquête. Ils furent en quelque sorte les créateurs du droit international.
Le XIXe et le XXe siècle prirent le relais de cet élan missionnaire en Afrique et en Extrême-Orient. Beaucoup d'Églises issues de la Réforme participèrent à ce grand mouvement d'évangélisation. Les Églises chrétiennes se mirent au service des causes humanitaires, en particulier dans les pays de mission où elles organisèrent l'instruction et les servies sanitaires.
Rompant avec l'époque des sinistres guerres de religions, les Églises donnèrent aussi le bel exemple du mouvement oecuménique. Né au XIXe siècle, dans le cadre du dialogue entre les différentes Église protestantes, ce mouvement fut assez rapidement rejoint par l'Orthodoxie. L'Église catholique s'y associa officiellement à l'occasion du concile Vatican II, montrant ainsi l'exemple de la conversion qu'une Église peur exercer vis-à-vis d'elle-même.
Le XXe siècle a été également marqué par de grandes figures issues des diverses confessions chrétiennes. Dans le domaine spirituel, pensons à Charles de Foucauld et à Édith Stein, juive devenue carmélite et morte à Auschwitz ; dans le domaine de la pensée, à Pierre Teilhard de Chardin, à des théologiens comme le Père Henri de Lubac et le Père Yves Congar ; dans celui du dévouement aux plus pauvres, pensons à Dom Helder Camara et à Mère Teresa ; dans le témoignage jusqu'au martyre, à Yves de Montcheuil, fusillé au polygone de Grenoble en juillet 1944 pour avoir accompagnée comme prêtre le maquis de Vercors, à Martin Luther King, à Dietrich Bonhoeffer, à Mgr Romero assassiné en raison de des prises de positions pour les pauvres, ainsi que d'autres évêques et prêtres, aux deux prêtres orthodoxes russes qui attiraient les foules par leur prédication évangélique, dans les derniers temps de l'URSS. Pensons enfin aux moines de Tibhirine et à Mgr Claverie. Le choix de ces quelques noms est arbitraire et même injuste au regard de tant d'autres, tout aussi connus, et de tous ceux dont le nom ne sera jamais retenu par personne. Tous ils ont montré, chacun à leur manière, que l'on peut vivre de l'Évangile dans le monde dit " postmoderne " et que le témoignage de la sainteté n'est pas éteint.
Tout cela est juste et ne saurait être oublié. Mais cette vision ne peut pas non plus cacher l'autre face de la vie de l'Église catholique. Un des plus grands paradoxes de l'Église est que le don de Dieu et du Christ ait été confié à des hommes pécheurs. À travers l'histoire, l'Église ne pourra jamais sortir ce cette contradiction : elle est radicalement sainte dans sa source et elle reste non moins radicalement pécheresse dans sa vie, parce que faite 'hommes pécheurs. Le don de Dieu aux hommes qu'elle a pour mission d'annoncer et de transmettre est absolument saint. Mais elle le porte dans des vases d'argile, comme le disait déjà saint Paul, et son combat dans l'histoire contre les forces du mal est aussi un combat contre les siens et contre elle-même.
Telle est sans doute la racine du scandale de tant de chrétiens et de non-chrétiens devant l'Église. Le Christ donnait l'exemple d'une existence sans péché ; il n'en va pas ainsi pour elle, que certains ont pu même appeler, avec une certaine injustice d'ailleurs, un " corps de péché ".
Comment rendre compte d'un tel paradoxe ? À titre d'indication préliminaire, on serait tenté de dire, comme Jésus devant la femme adultère : " Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre " (Jn 8, 7). Cette parole vaut du chrétien comme de tout autre. L'Église est pécheresse parce qu'elle est faite d'hommes comme chacun d'entre nous. Au moment où nous l'accusions nous devons connaître en nous la pulsion vers le mal et la part de la faute ou du péché dans nos vies. Le catholique ne doit pas oublier non plus qu'en jetant la pierre à l'Église, c'est lui-même qu'il vise.
Mais cette première réflexion ne saurait dispenser de la reconnaissance du mal et du péché dans l'Église et de sa nécessaire conversion. Le thème de l'Église " toujours à réformer " semper reformanda), fortement développé par les protestant du XVIIe siècle, est désormais accepté du côté catholique. Au XXe siècle, l'Église catholique a même inauguré un nouveau discours, celui du repentir et de la demande de pardon. Déjà Adrien VI reconnaissait avec courage en plein XVIe siècle les scandales présents dans l'Église catholique et à la Curie romaine. Suivant sa trace, Paul VI, au cours du concile de Vatican II, a exprimé une parole de repentance à l'égard des " frères chrétiens séparés ". Jean Paul II a repris plusieurs fois des paroles de ce type. Certains ont pu s'en moquer, en évoquant le complexe chrétien de culpabilité, en trouvant que ce n'était pas digne ou que d'autres étaient bien plus coupables. Mais la reconnaissance de ses torts par un organisme sociale est infiniment plus difficile que la conversion d'une personne. On le voit devant le refus de certains États de reconnaître leurs crimes. En la matière, chacun estime souvent que c'est à l'autre de commencer, ce qui fait que rien ne se passe. Pour ma part, je me réjouis de ce nouveau discours et je souhaite même qu'il soit plus précis encore en certains domaines.
L'Église a traversé deux millénaires qui, au regarde l'histoire, ont une figure bien différente. Il serait faux de considérer le premier comme idyllique et le second comme le temps de toutes les misères. Le premier a connu aussi le poids de l'humain trop humain : conflits de personnes et de sièges épiscopaux, conflits dans la foi, schismes durables, tenues peu édifiantes de certaines conciles d'où la violence n'était pas exclue, complicité avec le pouvoir politique, condamnations mutuelle, moeurs encore frustes, etc. 'Mais il reste auréolé par l'élan d'expansion de l'Église, le témoignage rendu par le grand concert des Pères de l'Église, et par les innovations civilisatrices.
Notre mémoire est beaucoup plus marquées par les dérives du second millénaire. C'est la période où en Occident la centralisation romaine commence à se faire sentir, conséquence indirecte de la rupture de 1054 entre les Église d'Orient et d'Occident. Cette centralisation fut commandée par l'idée de " réformer " nombre d'abus. De fut le cas de la réforme grégorienne du XIe siècle. Cette première réforme, légitime, nécessaire et juste en soi, aboutira progressivement à considérer que le pape, revêtu de la tiare à trois couronnes, est supérieur aux princes temporels qu'il peut démettre de leurs fonctions. D'autre part, elle conduira à une vision de plus en plus pyramidale de l'Église où tout dépend du centre d'initiative romain. Ses collusions avec les pouvoirs politiques ont fait parler de " césaropapisme ".
Malgré la mise en place de ce système, L'Église est en crise à la fin du Moyen Âge et beaucoup d'abus se manifestent. Au début du XVIe siècle tout le monde crie " Réforme ! Réforme ! ". Mais le pape Léon X vient de terminer en 1517 un concile du Latran qui n'a pas fait grand-chose. Il refuse donc l'appel au concile lancé par Luther à la fin de la même année. Finalement, le concile de Trente se réunira avec plus de vingt ans de retard (1545-1563) et ne saura empêcher la division de l'Église d'Occident.
Cette situation de puissance de l'Église l'a rendu souvent intolérante vis-à-vis des autres et plus encore envers les siens. Le Moyen Âge vit la mise en place de l'Inquisition et de la chasse aux hérétiques. Quand les États pontificaux recouvraient la partie centrale de l'Italie, le pape lui aussi a fait la guerre et est entré dans le jeu des intérêts politiques des alliances européennes.
Dans les moments de cris l'Église n'a pas toujours donné l'exemple de la sainteté, ou seulement de la moralité, de ses ministres. On ne peut oublier les scandales de certaines papes de la Renaissance (Alexandre VI Borgia par exemple) et de l'état de l'épiscopat au moment de la Réforme. Il est insuffisant de dire qu'il s'agissait de quelques évêques : l'image de l'institution elle-même était affectée. Au cours des Temps modernes les effets heureux de la Réforme catholique consécutive au concile de Tente se font sentir. Cependant l'Église, de plus en plus subordonnée au Siège romain, ne sait comment réagir devant certaines audaces missionnaires. Plus gravement, elle est paralysée face à un monde en pleine évolution qu'elle comprend de moins en moins et qui, de surcroît, devient plus critique à son égard. Le XVIIe siècle est celui des Lumières, de la philosophie et de la confiance inconditionnelle en la raison. Il est aussi celui de la crise de certaines élites dans la foi. La révolution française est le signal brutal d'une évolution irréversible. Elle est à la fois profondément antireligieuse et marquée par des valeurs chrétiennes évidentes. La conscience moderne a changé et l'Église ne s'en aperçoit pas.
Au XIXe siècle, l'Église a eu le tort de prendre massivement en suspicion nombre de requêtes des Temps modernes en matière de liberté. Elle n'a pas vu que certaines idées de la Révolution française étaient en fait des valeurs évangéliques laïcisées - liberté, égalité, fraternité - et ne s'est ouverte que trop lentement aux aspects irrécusables de la modernité. Elle vit plutôt sur le registre de la condamnation du monde et en arrive à une rupture avec lui. Elle prend alors la figure de la forteresse assiégée qu'il faut défendre, comme une sorte de parti dans la société. En même temps elle perd largement le contact avec le monde ouvrier issu de la première révolution industrielle.
Même si l'inquisition appartient au passé, de manière plus subtile l'Église a été souvent " dogmatique " au mauvais sens du terme. Cependant, ne tombons pas dans le travers qui consiste à donner systématiquement raison à ceux qui expriment des idées nouvelles - car au cours du XXe siècle comme au cours des siècles précédents, certains ont soutenu des thèses qui sortaient nettement des limites de la foi chrétienne. Mais nous pouvons reconnaître que l'Église, jusque dans l'époque contemporaine, n'a pas su reconnaître l'élément de vérité de certaines requêtes et est restée a priori réticente au débat et soupçonneuse à l'égard de ses théologiens. Elle s'est confrontée lentement et parfois trop tard à la mentalité contemporaine. Elle a sans doute éloigné de ce fait des hommes et des femmes de bonne volonté.
L'église ne peut évidemment pas tout bénir, mais elle se doit d'accepter et de laisser mûrir le débat sur les questions nouvelles qui lui sont désormais posées tant par l'évolution des mentalités que par des possibilités scientifiques jusqu'ici impensables. Sa tâche est alors de prendre le temps d'exercer un discernement juste sur ce qui est acceptable ou non et d'énoncer le oui ou le non dans l'esprit de l'Évangile. Il n'est pas possible d'entrer ici dans les dossiers concrets qui sont présents à l'esprit de beaucoup. Ce serait l'objet d'un tout autre livre. C'est dans cet esprit que l'ordre du jour d'un futur concile éventuel a été établi par Mgr John Quinn, ancien président de la conférence épiscopale américaine, dans une conférence devenue célèbre. (Mgr Quinn, " Réflexions sur la papauté ", Doc, Cath, #2147 (1996), p. 930-943)
Un trait incontestable de la présence du péché dans l'Église est la division des chrétiens. Aux tout premiers siècles de l'Église, les païens pouvaient dire des chrétiens : " Voyez comme ils s'aiment " et ce témoignage valait toutes les propagandes. La foi chrétienne s'est largement répandue à l'époque par le bouche-à-oreille des artisans et des commerçants à partir des grands ports de la Méditerranée.
Très vite cependant, les communautés chrétiennes ont connu des tensions qui ont conduit à des ruptures. En Orient les conflits furent d'abord doctrinaux. Les grandes assemblées conciliaires ont été souvent à l'origine d'un schisme et d'une séparation. Bien des Églises issues de ces ruptures ont disparu. Cependant, un certain nombre vivent encore, comme l'Église assyrienne de l'Orient, consécutive des débats d'Éphèse et d'origine nestorienne (mais qui refuse désormais cette appellation). La seconde rupture fut entraînée par la définition de Chalcédoine en Orient : tous ceux qui ne voulurent pas recevoir la formule de ce concile qu'ils jugeaient " maudit " ont formé des Églises copte, arménienne et syrienne d'Antioche ou jacobite, qui demeurent en rupture avec l'ensemble de ce qu'on appelle l'Orthodoxie chalcédonienne. En Occident, les occasion de rupture furent plutôt motivées par des questions concernant la vie ecclésiale : la validité du baptême, par exemple.
La rupture de 1054 est l'aboutissement de tentions séculaires entre l'Orient et l'Occident. Déjà au cours du siècle qui avait suivi Chalcédoine, une première rupture avait duré trente-cinq ans, inquiétant présage. En 1054, la scission se consomma par l'échange d'excommunications : la première venait de l'Occident et fut émise par le " fougueux " cardinal Humbert -légat d'un pape qui était déjà mort. L'Orient, avec Michel Cérulaire, patriarche de Constantinople, lui rendit aussitôt la pareille. Dans cette rupture, des motivations politiques et culturelles ont joué un grand rôle, mais, bien évidemment, les chrétiens n'ont pas eu suffisamment le souci de rester unis. Une scission est toujours la victoire de l'amour-propre sur l'amour. Depuis lors, se déroulèrent de nombreux " siècles d'incompréhension et de violences " (R. Girault) et malgré d'éphémères essaies de réconciliation aux XIIIe et XVe siècles, les deux " poumons " (Jean-Paul II) de l'Église respirent séparément. Les excommunications mutuelles ont heureusement été levées en 1965 par le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras. Mais les deux " poumons " restent séparés et ne célèbrent pas l'eucharistie en commun.
Élément nouveau : la grande rupture d'Occident au XVIe siècle se traduisit par cent cinquante ans de guerres de religions. Des chrétiens se sont mutuellement massacrés au nom de leur foi. En chaque pays, le camp majoritaire exécutait des représentants les plus marquants du camp minoritaire. Aussi y eut-il dans tous les camps, catholiques, protestants, parmi lesquels il faut distinguer les luthériens, les réformés (Calvin) et les anglicans, d'authentiques martyrs de la foi. La France quant à elle a gardé le souvenir tragique de la Saint-Barthélémy (24 août 1572).
L'histoire des divisions et des schismes dans l'Église est le contre-signe par excellence de la vocation de l'Église qui est de rassembler les hommes dans l'unité pour laquelle Jésus a prié. Quand elles s'accompagnent de violences et de massacres, ces divisions sont encore plus scandaleuses. Car la croix du Christ, instrument par excellence de salut et de réconciliation, en vient à être brandie comme une arme de guerre. On voit en quoi le mouvement de réconciliation oecuménique, engagé depuis le milieu du XIXe siècle, est essentiel, non seulement pour les Églises elles-mêmes, mais encore pour le témoignage qu'elles entendent rendre à l'Évangile dans le monde.